CHAPITRE XIII

Les élèves Jedi étaient réunis dans la salle de guerre du Grand Temple, depuis longtemps abandonnée. Ils estimaient que c’était le meilleur endroit pour mettre au point leur plan de bataille contre Exar Kun.

Située au troisième étage de l’antique ziggourat, la pièce avait été un temps le centre de contrôle de la base secrète rebelle. Entre ses murs, Jan Dodonna, un tacticien de génie, avait imaginé l’assaut contre la première Etoile Noire.

Cilghal et ses camarades avaient déblayé la majeure partie des débris qui s’amoncelaient depuis que l’Alliance n’utilisait plus les lieux. Quelques appareils avaient été réparés – les senseurs, par exemple –, mais leur efficacité restait minimale.

Enchâssée dans la roche, la pièce ignorait les fenêtres et les lucarnes. L’illumination artificielle, à demi fonctionnelle, laissait de vastes zones d’ombre dans les coins.

Cilghal regarda ses camarades. Une douzaine de personnes parmi les plus douées de la galaxie. Mais l’angoisse les étreignait, semant le doute dans leur cœur et les préparant au plus mal à l’épreuve qui les attendait.

Certains, comme Kirana Ti, Kam Solusar et Streen, brûlaient de défier le fantomatique Seigneur de la Sith. D’autres, Dorsk 81 en particulier, éprouvaient une peur panique à l’idée d’affronter l’entité qui s’était emparée de Gantoris et de Kyp et qui avait vaincu maître Skywalker.

La Calamarienne n’était pas pressée de combattre l’homme en noir, mais elle entendait faire tout son possible pour le terrasser.

– Que se passera-t-il si Exar Kun nous entend ? demanda Dorsk 81, les yeux luisant de peur. Il est capable de nous espionner même ici !

– Il peut être partout, dit Streen, se penchant à travers la table pour ne pas avoir à parler trop fort.

Ses cheveux gris toujours en bataille, il regardait sans cesse autour de lui comme s’il craignait que quelqu’un ne les espionne.

– Nous ne serons pas mieux ailleurs, dit Cilghal.

Si Exar Kun peut nous trouver ici, il le pourra n’importe où. Nous devons postuler qu’il nous est encore possible de le combattre. Sinon, autant rendre les armes…

Elle regarda ses camarades. Acquérir les talents oratoires indispensables à un ambassadeur lui avait coûté beaucoup d’efforts. Par le passé, sa voix et sa force de conviction lui avaient valu de grands succès. Une fois de plus, elle les mobilisa pour une juste cause :

– Nous avons assez de vrais problèmes à résoudre pour ne pas nous en inventer.

Des murmures approbateurs saluèrent cette entrée en matière.

– Tionne, une grande partie de notre plan repose sur ta connaissance des archives Jedi. Dis-nous ce que tu sais d’Exar Kun.

Tionne était assise sur un siège branlant, près de la console tactique à demi éventrée. Sur ses genoux reposait l’étrange instrument de musique à deux caisses de résonance dont elle jouait avec talent dès qu’il y avait quelqu’un pour l’écouter.

Son potentiel de Jedi était faible, maître Luke ne le lui avait pas caché, mais il ne lui avait pas dénié non plus le droit d’essayer de devenir un Chevalier de l’Ordre. Fascinée par les légendes concernant leurs prédécesseurs, Tionne avait sillonné la galaxie, étudiant des documents qui l’avaient ramenée des milliers d’années avant leur disparition.

L’Holocron des Jedi avait été pour elle une mine d’or. Tionne avait visionné inlassablement les mythes-du passé et découvert une foule de détails. Hélas, l’Holocron avait été détruit le jour où maître Luke avait demandé à son gardien virtuel, l’ancien Jedi Vodo-Siosk Baas, de lui raconter l’histoire d’Exar Kun, qui avait jadis ressuscité la Confrérie de la Sith.

Tionne regarda à son tour ses camarades. A force de tension, ses lèvres paraissaient exsangues.

– Il est très difficile de trouver des données fiables sur la Grande Guerre de la Sith. Elle date de quatre mille ans et fut incroyablement dévastatrice. Il semble que les anciens Jedi aient été honteux de ne pas avoir su protéger la galaxie. Beaucoup de documents sont incomplets, certains manquent carrément. Mais j’ai réussi à reconstituer une partie du puzzle.

« Kun a construit sa forteresse principale sur Yavin 4. Il a réduit les Massassis en esclavage pour qu’ils construisent des temples – les points focaux de son pouvoir.

« Cela m’a fait repenser au Grand Conseil de Deneba, où la majorité des Chevaliers Jedi s’est réunie pour débattre de la « Marée Obscure » qui déferlait sur la galaxie. Vodo-Siosk Baas est devenu un martyr quand il a essayé de ramener Exar Kun vers le Côté Lumineux de la Force. Après son échec, les autres Jedi se sont groupés pour former l’armée la plus puissante qui ait jamais existé.

« Bien que Kun ait eu de très grands pouvoirs, il semble que la clé du conflit fut… (Elle marqua une pause, tapotant du bout de l’ongle une des caisses de résonance de son instrument.) La clé, disais-je, était que les autres Jedi combinaient leur puissance. Ils combattaient comme une unité où chacun avait sa place, devenant un simple rouage d’une énorme machine alimentée par la Force.

« J’ai peu d’informations, mais il paraît probable que les Jedi, au cours de l’ultime bataille, aient dévasté Yavin 4, car ils tenaient à détruire Exar Kun. Jouant sa dernière carte, le Seigneur Noir a aspiré la vie de ses esclaves massassis. Alors que les anciens Jedi étaient parvenus à détruire l’essentiel des temples et à réduire son corps à néant, Kun a projeté son esprit dans ces murs, où il est resté pendant des milliers d’années…

– En un mot, à nous de finir le travail ! conclut Kirana Ti en se levant.

Susceptible de se battre à n’importe quel moment, la sorcière de Dathomir ne portait plus que son armure. Pour mettre sa bure de Jedi, elle attendrait des temps meilleurs.

– Je souscris à cette analyse, dit Kam Solusar.

Son visage était celui d’un homme qui a depuis longtemps désappris à sourire.

– Comment faire ? demanda Streen. Des milliers de Jedi n’ont pas pu vaincre l’homme en noir. Et nous ne sommes que douze !

– Peut-être, admit Kirana Ti, mais Exar Kun ne dispose plus d’un peuple d’esclaves comme source d’énergie. Il devra lutter seul. De plus, il a déjà connu la défaite une fois, et il le sait.

Cilghal se leva à son tour.

– Plus important que tout, dit-elle, nous nous entraînons ensemble depuis le début. Grâce à maître Skywalker, nous sommes une équipe. Hier, Leia nous conjurait d’être les Champions de la Force. Mes amis, c’est exactement ce que nous sommes !

Assis au sommet du Grand Temple, Luke se désolait que sa forme astrale soit incapable de sentir le souffle de la brise du soir.

La nuit tombait sur la jungle. Dans le ciel aux lueurs orange, des créatures vaguement semblables à des chauves-souris volaient à tire-d’aile, sans doute en quête d’une colonie d’insectes nocturnes.

Le Jedi se souvint du cauchemar où Exar Kun, se faisant passer pour Anakin Skywalker, était venu le supplier de rallier le Côté Obscur. Retournant dans le passé, Luke avait vu les infortunés Massassis travailler à construire les temples, la plupart mourant à la tâche.

Il avait chassé le cauchemar de son esprit, mais il n’avait pas compris à temps l’avertissement qu’il contenait.

Tournant la tête, le jeune homme distingua la silhouette encapuchonnée d’Exar Kun, debout face à la jungle, une vision qui n’avait déjà plus rien pour l’effrayer.

– Tu ne manques pas d’audace de continuer à te montrer à moi, Exar Kun ! D’autant que tous tes efforts pour détruire mon enveloppe charnelle ont échoué.

Après l’attaque des trois reptiles, Luke avait vu Cilghal s’occuper des égratignures que portait son corps vide d’âme. Comme Luke l’avait pressenti dès ses premiers jours à l’Académie, sa douceur et sa compassion en faisaient le prototype du guérisseur Jedi.

Avant de sortir, elle avait parlé tout haut à l’esprit de son maître :

– Nous ferons l’impossible. Luke, je vous en prie, gardez confiance en nous.

Le Jedi avait accédé à sa prière. Alors qu’il se tenait face à Exar Kun, à l’endroit même où Kyp Durron et le Seigneur Noir l’avaient vaincu, il sentait cette confiance grandir.

– Je m’amuse un peu avec toi, Skywalker, dit Kun en haussant ses épaules spectrales. Rien ne peut contrarier mes plans. Certains de tes élèves sont déjà en mon pouvoir. Les autres suivront.

– Je suis sûr que non ! le défia Luke. Je les ai bien formés. Tu peux leur montrer un chemin facile vers la gloire, mais ils ne seront pas dupes, et devineront quel prix il faut payer au bout de la route. Je leur ai appris à se fier à leurs capacités et à croire en leur valeur. Tes illusions ne valent rien à leurs yeux. A travers moi, ils connaissent la puissance et le sens véritables de la Force.

– Crois-tu que j’ignore les plans ridicules qu’ils ourdissent ? gronda Exar Kun.

Luke trouva qu’il s’échauffait beaucoup. Sa confiance vacillait-elle ?

– Que tu le saches ou pas est sans intérêt. Ils te vaincront de toute manière. Ta suffisance n’est pas une force, mais la pire des faiblesses…

– La tienne, c’est de croire en ces pleutres !

Luke se contenta de rire.

– On m’a déjà parlé ainsi il y a longtemps. C’étaient des foutaises à l’époque, et ça l’est encore aujourd’hui.

Exar Kun disparut peu à peu.

– Nous verrons bien, souffla-t-il avant de réintégrer sa prison de pierre.